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Le procès du Dr Petiot : une plaidoirie de 6h30 !

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À l’occasion de l’acquisition d’une lettre autographe authentique du Docteur Petiot, le cabinet des Curiosités Juridiques revient sur le procès du tueur en série le plus emblématique de l’après-guerre. La plaidoirie fameuse de six heures trente de son avocat, Maître Floriot, ne le sauvera pas. La Cour d’assises de la Seine condamnera Petiot à la peine capitale pour les assassinats de vingt-sept victimes. Soixante-trois selon l’auteur…

Une découverte macabre

Le 11 mars 1944 au soir, les habitants de la rue Le Sueur dérangés depuis plusieurs jours par une épaisse fumée noire et puante émanant des cheminées du 21, se décident à en faire la remarque au propriétaire des lieux. Or il n’est pas là. Deux agents de police sont alors dépêchés sur place, appelés par les voisins. Le concierge les informe que le propriétaire de l’hôtel particulier s’appelle Marcel Petiot, il s’agit d’un médecin aimable et discret.

Joint par téléphone, le docteur Petiot insiste pour que l’on ne pénètre pas les lieux avant son arrivée avec les clés. Mais pressés par l’urgence, les agents appellent les pompiers qui entrent par une fenêtre. Le caporal-chef raconte : « … avec mes hommes, je suis descendu dans le sous-sol, près du calorifère où j’ai aperçu des débris humains et une chaudière allumée ronflant fortement dans laquelle brûlait de la chair humaine. À ce moment, mon attention a été attirée par une main humaine au bout d’un bras décharné dépassant d’un tas de débris humains et qui m’apparut être une femme ». Des corps sont coupés, d’autres brûlent, certains se défont  

Les autorités évacuent des corps de l’hôtel particulier

Les pompiers mettent à jour un charnier, des morceaux de corps déchiquetés jonchent le sol pendant que d’autres brulent, tandis qu’arrive le frère du Docteur Petiot. Confronté à la scène, il dit aux agents : « Je risque ma tête, vous savez ! Ce que vous voyez là, ce sont des Allemands ou des gens traitres à la patrie. Je suis à la tête d’un grand réseau de la Résistance, moi-même et mes amis sommes en danger. Et vous-mêmes, êtes-vous de bons Français ? oui ?! alors laissez-moi partir ! J’ai des centaines de dossiers à faire disparaître avant que les Allemands mettent la main dessus. Laissez-moi partir !… ».

Convaincus par ce discours, l’homme que les agents laissent partir n’est autre que Petiot lui-même. Commence alors deux enquêtes, l’une pour retrouver le suspect, l’autre pour déterminer exactement de quoi il est suspecté…

Le procès du « Docteur Satan »

Nous avons fait le choix de revenir sur les faits et la cavale de Petiot grâce au réquisitoire de l’avocat général Pierre Dupin durant son procès, tenu à la Cour d’assises de la Seine – devenue Cour d’assises de Paris – du 18 mars au 4 avril 1946. Ce dernier va retracer la vie de l’accusé ainsi que les meurtres desquels il est accusé. Vint ensuite la plaidoirie de Maître René Floriot, ténor du barreau. Restée fameuse pour avoir durée presque sept heures… !

Ce procès est considéré par la presse de l’époque comme « l’un des plus grands procès de l’histoire criminelle » et Petiot comme le « plus grand criminel des temps modernes ». Les médias ont feuilletonné l’affaire durant des mois, étalant des découvertes macabres, les corps, les techniques d’assassinat du « docteur Satan » ; rendant compte d’un intérêt de l’opinion publique pour les tueurs en série.

Le réquisitoire de l’avocat général Pierre Dupin

« En présence d’un drame aussi effroyable, je ne puis, en abordant ce débat, dominer un sentiment d’horreur. Jamais, en effet, affaire aussi tragique ne fut soumise aux délibérations d’une cour d’assises. Et je ne puis m’empêcher de penser qu’il y a vingt-cinq ans se déroulaient devant les assises de Seine-et-Oise les débats du procès […] Landru.

Landru qui avait fait disparaître onze femmes. Les onze fiancées de Landru ! Et tout le monde pensait que jamais on ne reverrait procès aussi abominable. On se trompait lourdement, car aujourd’hui Landru est largement dépassé.

Aujourd’hui, ce n’est pas onze assassinats – c’est vingt-sept assassinats commis pour le plus vil des mobiles, commis par cupidité, pour dépouiller les victimes de la totalité de leurs biens.

Vingt-sept assassinats accomplis dans des conditions qui dépassent en horreur tout ce que l’imagination peut concevoir.

Peut-être tout à l’heure élèverai-je la voix avec véhémence, peut-être sortira-t-il de ma bouche quelques mots cinglants et rudes. S’il en est ainsi, je tiens à m’en expliquer par avance.

C’est que devant la tactique adoptée par ce misérable, devant l’attitude cynique et révoltante qu’il a adoptée dès le début de l’information et dont il ne s’est pas départi durant ces longs débats, je suis contrait de me dresser et d’accuser avec véhémence.

Et, tout d’abord, dans cette affaire plus que dans tout autre, la personnalité de l’accusé domine les faits ; et pour comprendre cet effroyable drame, il est indispensable que vous connaissiez bien l’homme que vous avez à juger.

C’est, en effet, un individu peu banal que celui qui comparaît devant vous : remarquablement intelligent, dénué de tout scrupule, admirable comédien, profondément pervers et sadique, Petiot va mener une existence des plus mouvementées.

Né le 17 janvier 1897 à Auxerre où son père était fonctionnaire, Petiot fit ses premières études au collège de cette ville. Il fut mis à la porte de l’établissement pour inconduite et vint terminer ses études à Paris. Reçu bachelier en 1915, il est appelé pour le service militaire en 1919. Blessé l’année suivante […] il est réformé. Il va à Lyon où il fait rapidement sa médecine, en trois années.

Dès qu’il a terminé ses études, il va s’installer médecin à Villeneuve-sur-Yonne. Rapidement, il acquiert une nombreuse clientèle : beau parleur, admirable comédien, il exerce sur la foule une véritable séduction, et il ne l’ignore pas.

Cependant, il révéla vite sa personnalité, celle d’un hypocrite et celle d’un pervers. […] Élu conseiller municipal de la commune de Villeneuve-sur-Yonne, il devint maire assez rapidement. On peut dire qu’il fut le tyran de la ville. Il aurait sans doute fait une brillante carrière politique si ses malversations et ses indélicatesses multiples n’avaient été révélées. En effet, ses électeurs apprirent assez vite les nombreux vols qu’il commit en tant que maire, et finirent au bout d’un certain temps par lui retirer leur confiance.

Un jour, une jeune maman vient le trouver, avec un enfant en bas âge sur les bras, Petiot examina l’enfant et rédigea une ordonnance que le pharmacien refusa d’exécuter : la dose était si considérable qu’un adulte n’y aurait pas résisté : quand le pharmacien inquiet en fit la remarque quelques jours après au Dr Petiot, il s’attira cette réponse : « Qu’est-ce que cela peut faire ? Si l’enfant était mort, eh bien : il n’embêterait plus sa mère. ».

Le cabinet des Curiosités Juridiques propose une lettre authentique du docteur Petiot en résonance avec cet épisode : un certificat de naissance établit par Petiot sur papier entête de dans cette même ville de Villeneuve-sur-Yonne : « Je soussigné certifie avoir constaté au domicile […] la naissance d’un enfant vivant […] ».

L’avocat général Dupin passe ensuite en revue les méfaits de Petiot (vols – notamment celui de la croix du cimetière, le courant électrique de la ville, d’huile, d’essence, etc.) qui lui valent d’être révoqué de ses fonctions de maire en 1931. L’avocat de reprendre ainsi la suite de l’histoire de Petiot qui décide de s’installer comme médecin à Paris : « Et là, Messieurs, vous vous souvenez de ce prospectus de charlatan avec lequel il s’est offert à la clientèle. Il commence par prendre des titres qu’il n’a pas, des titres de médecin des hôpitaux, des titres ronflants, et il offre à sa clientèle de la soigner dans des conditions exceptionnellement avantageuses et avec tout le confort moderne.

Cependant, ses indélicatesses se multiplient. On constate que lorsque Petiot, en tant que médecin de l’état civil, va constater un décès, il a l’habitude de conserver par-devers lui les pièces d’état civil des personnes dont il constate le décès. »

Petiot est cleptomane. Un jour, de passage à la libraire Gibert de la place Saint-Michel, il y vole un livre. Refusant de suivre l’inspecteur venu l’arrêter, il le frappe et prend la fuite. Poursuivi en correctionnelle, il trouvera un médecin pour attester du fait qu’il n’était pas en possession de ses facultés mentales au moment du vol.

Le docteur parisien est également impliqué dans nombre d’affaires de stupéfiants. Il établit de fausses ordonnances à des toxicomanes. Il se justifie par la réalité de la pathologie des quatre-vingt-quinze malades qu’il soigne… Le juge ayant ordonné une expertise médicale, les médecins concluent qu’il s’agit : « d’un homme intelligent, doué d’une forte volonté mais complètement dénué de tout scrupule, comme le prouvent d’ailleurs ses antécédents. C’est avant tout un pervers. Il est responsable de ses actes. »

Après un rappel des circonstances de la découverte macabre de la rue Le Sueur et de l’expertise des lieux : la chaux vive, l’ancienneté des corps démembrés de façon professionnelle, la reconstitution du puzzle des membres, des ossements et des cheveux… Pierre Dupin rappelle la cavale du suspect durant laquelle il usurpe l’identité d’un résistant.

L’avocat général revient sur les allégations de Petiot, il fait partie d’un réseau de résistant de la première heure, membre du groupe de Pierre Brossolette avant de créer lui-même le sien : le Fly-Tox. Selon ses dires, c’est sa révolte face à la passivité du peuple qu’il : « décide d’exterminer tous ceux qui appartenaient à la Gestapo allemande ou française : dès que je me trouvais en présence de quelqu’un ayant plus ou moins des accointances avec la Gestapo, je l’exécutais. »

Petiot précise que les victimes n’ayant pas été découvertes rue Le Sueur sont enterrées en forêt de Marly ou dans le bois de Saint-Cloud. L’avocat général rappelle alors la question posée à Petiot : « Puisque vos victimes sont enterrées dans la banlieue, comme se fait-il que leurs vêtements soient retrouvés dans ces valises rue Le Sueur ? ».

Au procès, les valises des victimes présumées ont été empilées et prises en photo, l’image choquant le public sur le nombre de victimes…

Les valises des victimes, Petiot et Maître Floriot en bas à droite

L’avocat de reprendre : « Là, la question est terriblement embarrassante, tellement embarrassante que Petiot ne répond pas, parce qu’il faudrait admettre qu’après avoir assassiné ses victimes il les a déshabillées, complètement dépouillées, pour transporter tous les effets et leurs bagages chez lui, rue Le Sueur.

Mais hélas, Messieurs, les personnes assassinées par le docteur Petiot n’étaient pas des agents de la Gestapo ; les personnes assassinées par le Dr Petiot étaient, bien au contraire, des résistants pour la plupart, des Juifs traqués qui venaient se confier à lui, comme nous le verrons tout à l’heure. Petiot n’a travaillé ni pour la Résistance ni contre la Résistance, car il ignorait ce qu’était la Résistance. Petiot, c’est le sinistre assassin de droit commun qui tue pour voler. ».

Dupin démonte ensuite un à un les « mensonges » de Petiot relatifs à ses activités de prétendu résistant, le suspect rappelant à juste titre son arrestation par les allemands. L’avocat général : « Quelle a été la conduite de Petiot au moment de la Libération ? Est-il venu se livrer à la justice ? Au moment où les patriotes sortaient de prison, Petiot, cet assassin de droit commun, caché dans sa fange, sous un faux nom, avec de fausses pièces d’identité, se cache encore chez des amis. Il s’était composé un visage. Il s’était laissé pousser la barbe. Il portait des lunettes, dont il n’avait nul besoin, pour se composer une physionomie d’emprunt, espérant ainsi échapper aux investigations et aux recherches de la police ».

D’ailleurs messieurs les Jurés, j’ai ici une photographie beaucoup plus éloquente que tout ce que je pourrais vous dire. Regardez comment Petiot sait se composer un visage quand il veut échapper aux investigations de la police. Petiot ne pourra jamais prétendre que s’il s’était composé un visage c’était pour fuir les Allemands, puisque tout cela se passe bien après la Libération.

Visage de Petiot transformé pour sa fuite 

L’avocat général explique ensuite pourquoi les allemands avaient arrêté Petiot : il avait laissé courir le bruit qu’il pouvait sauver des juifs des camps afin d’attirer plus de victimes qu’il pourrait aisément faire disparaître… « Mais vous pensez bien que si les Allemands avaient cru, à un moment donné, que Petiot était pour quelque chose, même de loin, dans la disparition d’un agent de la Gestapo, non seulement ils ne l’auraient pas libéré, mais Petiot ne serait certainement pas assis sur ce banc aujourd’hui.

« Le procédé criminel du docteur Petiot peut en effet se résumer grosso modo de la façon suivante : il invitait les personnes désireuses de passer la ligne de démarcation. Il leur recommande de bien liquider tous leurs biens. Il leur recommandait de se munir de tout ce qu’ils avaient de plus précieux : bijoux, or, valeurs. Une fois que c’était fait et qu’ils venaient le retrouver, il prétextait la nécessité de les vacciner contre certaines maladies de pays tropicaux et en profitant pour injecter une substance vénéneuse, peut-être pas mortelle immédiatement, mais qui les étourdissait et amenait une mort lente. Ensuite, c’était un jeu d’enfant de faire entrer ces personnes dans la petite chambre triangulaire où les cris étaient étouffés et il n’avait plus qu’à les laisser mourir lentement. […] Petiot se targue d’avoir fait disparaître 63 personnes. Nous n’avons pu identifier jusqu’à ce jour que 27 personnes. Nous ne parlerons que de celles-là.

Il y a deux possibilités. Il les as tuées par piqûre, probablement, ou encore, comme le faisait remarquer le Dr B… peut-être les a-t-il tuées par asphyxie gazeuse. Il est certain que la chambre triangulaire, bien que n’étant pas d’une étanchéité parfaite, pouvait servir de chambre à gaz. Une fois que Petiot avait étourdi sa victime en lui faisant une piqûre, il lui était facile de l’introduire dans cette cellule et de l’exécuter par asphyxie gazeuse en injectant dans ce local un gaz nocif rapidement mortel. Mais je dis que l’hypothèse de la mort par piqûre demeure encore plus vraisemblable parce que la mort par asphyxie gazeuse est plus compliquée à réaliser que la mort par piqûre.

Petiot avait fait aménager l’hôtel particulier de la rue Le Sueur en cabinet macabre. Les murs mitoyens sont relevés et la cave aménagée comme suit : les portes sont doublées, un puit est rempli de chaux vive et la pièce triangulaire est construite, munie d’un œilleton dont l’utilisation est discutée. Permettant d’observer l’agonie des victimes, lorsque le charnier est découvert, l’œilleton est inutilisable car le papier peint fut posé par-dessus. Son utilisation ainsi que celle du triangle restent un mystère. Les victimes finissaient dissoutes dans des bains d’acide et de chaux. 

Pierre Dupin relate ensuite l’histoire de M. Marie et des époux Cardoret, souhaitant s’enfuir avec l’aide de Petiot mais s’étant ravisés, pris d’un doute salvateur à propos de la probité du généreux docteur. L’histoire des vaccins et l’insistance de Petiot leur parût si étrange qu’ils se renseignèrent à ce sujet dans une clinique.

« Ensuite M. Cardoret fut frappé – dit-il – par la malpropreté des mains de Petiot et il se dit que pour un médecin, un chirurgien, c’était tout de même bizarre qu’il ait des mains aussi sales. Sans doute surprit-il Petiot alors que celui-ci venait de faire un essai de fonctionnement de son four crématoire ou venait-il peut-être de dépecer quelques vieilles victimes ».

« Parmi les 27 victimes identifiées, il y a trois groupes : d’abord le groupe des Juifs. C’est le groupe le plus important : quinze Juifs qui voulaient fuir les atrocités raciales et qui se sont confiés à lui, espérant passer la ligne de démarcation et se diriger vers l’étranger. Ensuite, deuxième groupe : trois personnes mêlées à des affaires judiciaires gênantes pour Petiot, affaires d’avortement ou de trafic de stupéfiant où Petiot est fortement compromis. Il les fait disparaître parce qu’elles étaient trop gênantes. Enfin, troisième groupe : ce sont des personnes de basse moralité, mais qui avaient de l’argent, et c’est pour cette raison que Petiot les a fait disparaître. »

« Enfin, Messieurs, dernière question que je me suis posée plus de cent fois depuis deux mois que j’étudie ce dossier : quel est le nombre exact d’assassinats commis par Petiot ? Eh bien, à cette question qui paraît si simple, je suis dans l’impossibilité de vous répondre avec exactitude, et l’accusé lui-même serait peut-être dans l’impossibilité de le dire.

On peut se demander si Petiot, au début, n’a pas fait disparaître, dans la Seine, de nombreux cadavres. Est-ce que Petiot, au début du fonctionnement de son abattoir, jetait les cadavres dans la Seine après les avoir scientifiquement dépecés ? Puis, cette méthode ayant attiré l’attention de la police, est-ce qu’il a changé de méthode, de tactique, brûlant les cadavres au 21, rue Le Sueur ? ».

Dupin explique qu’entre 1942 – année d’achat de l’hôtel particulier – et 1943, des morceaux de cadavres découpés façon Petiot sont repêchés dans l’ouest parisien : « Il y a là une étrange coïncidence ».

« Et maintenant, je vous demande d’écouter la plus effrayante chronologie que vous avez entendue de votre vie, chronologie que vous n’oublierez ni pendant la période de votre délibéré ni pendant longtemps, j’en suis sûr.

Le 11 août 1941, Petiot se rend acquéreur de l’immeuble de la rue Le Sueur et, aussitôt, préparation de l’abattoir. Il fait construire la chambre triangulaire, la chambre des exécutions. Il fait construire le mur au 5e étage, pour isoler l’immeuble de tous les immeubles voisins et dès le début de janvier 1942, l’abattoir va pouvoir commencer à fonctionner. » La chronologie ensuite établie par Dupin est celle des assassinats du Docteur, visant parfois des enfants.

« Voilà, Messieurs de la cour, Messieurs les Jurés, ce que vous n’oublierez jamais, sans doute. On doit s’incliner parmi ces morts, mais je dis que, malgré tout, il y a lieu de distinguer parmi ces morts. Il y en a certains qui étaient des gens tarés, mais il y a aussi des martyrs, il y a surtout des martyrs : martyrs les Khayt, martyrs les Van Bever, martyrs les Hotins, etc. ».

« Et il ose aujourd’hui pousser l’infamie jusqu’à revendiquer ce titre de résistant, ce titre de héros national.

Héros national, Petiot ? Quelle odieuse caricature… Héros national, ce massacreur de Juifs, de résistants, de femmes, d’enfants ?

Héros national, ce tueur qui a transformé son hôtel en camp d’extermination, avec chambre à gaz, four crématoire, fosse à chaux ?

Héros national, ce médecin marron qui se livrait sur une vaste échelle au trafic des stupéfiants ?

Héros national, cet assassin en grande série qui se cachait, après la Libération, sous un faux nom, avec de fausses pièces d’état civil, pour essayer d’échapper aux investigations de la police ?

Et on viendra parler de Résistance ? Et c’est au nom de la Résistance, et c’est pour servir la Résistance que tant de crimes, tant d’horreurs auraient été commises ?

Non, Petiot… Nous ne laisserons personne profaner davantage ce mot de Résistance. Petiot, l’heure de la justice a sonné ».

« Votre conscience et la mienne, Messieurs de la cour, Messieurs les Jurés, sont donc pleinement rassurées : Petiot, le monstre de la rue Le Sueur, est entièrement responsable de ses actes.

Que la justice suive son cours, et que Petiot aille bientôt retrouver ses victimes. ».   

La plaidoirie de Maître René Floriot

Petiot au dessus de son avocat, Maître Floriot

« Messieurs de la cour,

Messieurs les Jurés,

Vous avez entendu, pendant quinze heures d’horloge, les adversaires essayer de vous démontrer qu’il ne pouvait y avoir de doute dans vos esprits et que Petiot était coupable. Le seul fait qu’il ait fallu quinze heures pour apporter cette démonstration semble tout de même indiquer que ce n’est pas aussi simple qu’on pouvait le penser à la première audience.

Rassurez-vous : je ne plaiderai pas quinze heures. Je vous épargnerai ce supplice. Je vais être aussi bref que possible, mais, moi, je ne vous ferai pas de roman (il plaidera six heures trente…).

Tout d’abord, un premier point qui est important. Ce procès est faussé. Quand je dis qu’il est faussé, vous entendez bien que je n’accuse personne, car s’il est faussé, c’est de la faute de personne, mais il est faussé tout de même. Il est toujours fâcheux, pour un accusé, de venir devant ses juges, précédé, je ne dis pas d’une campagne de presse – ce n’est pas le cas – mais précédé d’une opinion qui a été préparée, inconsciemment, et qui, lorsqu’elle voit, pour la première fois, paraître dans son box le docteur Petiot, dis : « C’est un monstre, c’est un assassin, c’est un voleur, c’est peut-être même un sadique ». Comment cette histoire est-elle née ? De la façon la plus simple du monde.

Le 11 mars 1944, un coup de tonnerre éclate : on a découvert, dans un hôtel particulier rue Le Sueur, qui appartient au Docteur Petiot, des cadavres enrobés de chaux, dont certains brûlaient dans un calorifère, et tout ce qu’on sait, c’est que Petiot a pris la fuite. Le crime est par conséquent, signé. Et la presse – et c’est infiniment normal – va s’en donner à cœur joie.

Inutile de vous dire que l’opinion, qui ne savait autre chose que ces nouvelles et qui ne pouvait rien savoir d’autre, a emboîté le pas. Elle l’a emboité d’autant plus facilement que la presse de l’époque s’est bien gardé de raconter que le Dr Petiot s’était présenté rue Le Sueur, qu’il avait parlementé avec les gardiens de la paix qui avaient découvert les cadavres, qu’il avait réussi à les convaincre et qu’il avait dû s’en aller.


Si ce détail avait été connu d’une partie des Français, cela les aurait peut-être déjà fait réfléchir. Et puis la presse de l’époque a caché un second détail qui avait son importance : de mai 1944 à janvier 1944, le Dr Petiot avait été arrêté, martyrisé et emprisonné pendant huit mois par les allemands.

Donc, la presse d’abord, l’opinion ensuite, sont persuadées qu’il ne peut y avoir aucune sorte de question : le Dr Petiot est un assassin, et la seule question qui puisse être discutée, c’est la suivante : a-t-il tué par cupidité ou a-t-il tué par sadisme ?

Maître Floriot revient ensuite sur les titres de presse assimilant les méthodes de Petiot à celles des nazis : « Petiot, soldat du Reich », etc. Mais… « ceux qui ont regardé le dossier se rendent compte que, si on prend affaire par affaire, ce n’est peut-être pas aussi simple que cela en a l’air.

Et alors on imagine – et c’est du talent de mon confrère que je dois cette invention – de faire le petit raisonnement très simplet, qui est le suivant : Petiot a tué un certain nombre de personnes, il le reconnaît. Ou bien il les as tuées par patriotisme, et alors, c’est un résistant, ou bien il les as tuées par cupidité, et alors, c’est une basse crapule. Il n’y a pas d’autre possibilité, il n’y a pas d’autre hypothèse, il n’y a pas de troisième branche.

Donc, se dit Maître Véron, si je démontre que Petiot n’est pas un résistant j’aurais automatiquement fait la preuve qu’il est une basse crapule, et le jury le condamnera. » Et l’avocat de rappeler les « colles » posées à Petiot afin de démontrer qu’il n’est pas résistant tout en prenant bien soin de ne pas rentrer dans le détail de chaque dossier.

« Et vous avez entendu hier M. l’avocat général, sur deux heures de réquisitoire, consacrer – j’ai chronométré – une heure quarante à vous démontrer : Petiot est un forban, Petiot n’appartient pas à la Résistance, et, la rue Le Sueur, c’est la démonstration que nous sommes en présence d’un criminel de la plus basse espèce.

Moi je vais plaider mon dossier, mais avant de le faire, et très vite, rassurez-vous, je suis obligé de reprendre très brièvement ces trois points, pour vous montrer à quel point on a fait un roman.

Premièrement, on vous a dit : Petiot est un forban, et on a cherché, dans sa vie, tout ce qu’on a pu trouver de désagréable. On a cherché parmi ses ennemis, tout ce qu’on pouvait vous apporter pour faire un tableau sombre de Petiot. Mais je crois pouvoir vous démontrer qu’on a réellement fait l’enquête avec un parti pris évident.

Un exemple, un seul : vous avez entendu à cette barre vingt braves gens qui sont venus nous dire : « Nous sommes les clients du Docteur Petiot. Nous n’avons jamais connu un médecin aussi dévoué… ». Cela, ce n’est pas dans le dossier.

Villeneuve-sur-Yonne, c’est réellement plus beau que tout. Vous avez entendu trois ou quatre témoins qui ont fait le voyage pour venir vous dire : « Nous l’avons connu. Toute la ville voudrait venir vous dire qui c’était, ce qu’il a fait et les services qu’il a rendus ». On n’en a trouvé le moyen, dans le dossier, que de mettre la déposition un jour, en venant vous dire : « J’en veux un peu au Dr Petiot parce qu’un jour je lui ai fait un procès d’éclairage, et il a été acquitté. Je le soupçonne d’avoir assassiné la laitière ». Cela a été un éclat de rire. Il avait accusé neuf personnes, sauf le Dr Petiot. Et M. l’avocat général qui, pourtant, est quelquefois téméraire n’a même pas osé répondre.

Alors, voulez-vous, après que vous avez compris qu’on a fait ce procès d’une façon un peu curieuse et unilatérale, au point de vue policier, que nous reprenions vite la vie de Petiot ? »

Maître Floriot reprend ensuite la vie du médecin en rappelant tout ce qu’on lui a contesté durant le procès : la faible durée de ses études, sa mention en médecine, son appartenance politique… Une fédération de son parti avait publié un communiqué pour démentir qu’il aurait appartenu à leur groupe : « Voilà, Messieurs, le courage de ces gens qui, avant de savoir ce qui allait se passer, avant même que les débats soient clos viennent vous dire : « Mais non, il n’appartenait pas à notre groupe. » Je me demande pourquoi ceux qui s’appelle Marcel, comme lui, n’ont pas publié dans la presse un démenti en disant : Marcel Untel prévient le public qu’il a aucune espèce de rapports avec Marcel Petiot. Voilà où nous en sommes ! »

L’avocat de Petiot revient ensuite sur sa vie de maire, « élu à la quasi-unanimité a à peine trente ans », « réélu triomphalement ». « Le préfet se fâche, parce que ce petit maire de cette petite ville fait beaucoup de bruit. On le révoque. Le conseil municipal démissionne en bloc. Messieurs, voyez le courage, à l’heure actuelle, des autorités constituées : je demande à la mairie de Villeneuve de m’envoyer cette délibération. On me répond : « Monsieur, elle n’est pas signée par tous les membres. On ne peut pas vous l’envoyer ».

Je réponds : « envoyez la telle qu’elle est ».

On me répond : « Envoyez-nous du papier timbré pour qu’on puisse vous faire un extrait ».

Je l’envoie. On me répond : « envoyez 20 francs pour les frais d’envoi ».

Le dossier raconte que suite à plusieurs affaires (vol d’électricité, vol de la croix du cimetière, et tant d’autres) Petiot dut quitter Villeneuve : « Mais non, regardez votre dossier et vos dates : cela n’a aucun rapport. Petiot est venu à Paris. Vous voulez savoir pourquoi ? Pour une raison bien simple : sa femme était parisienne. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que même pour les gens autoritaires, comme Petiot, il y a des cas où c’est la femme qui dirige. Elle n’aimait pas Villeneuve. Elle a emmené son mari à Paris. »

René Floriot revient ensuite sur les affaires de stupéfiant avant d’aborder la question de la Résistance prétendue de son client. Il démontre d’abord que l’appartenance à un groupe est sans incidence afin de déterminer le bien-fondé d’une action résistante. Elle peut-être individuelle, spontanée et tout aussi honorable.

« Je reconnais que je dois vous prouver, pour les victimes qui sont reconnues par Petiot, victime par victime, qu’ils étaient des agents ou des indicateurs de la Gestapo. Je reconnais que je vous dois cette preuve et que si, pour un seul d’entre eux, je ne fais pas cette preuve, le Dr Petiot doit être condamné. Ce qu’on a cherché, dans le passé de Petiot, on a cherché sans bienveillance. A-t-on trouvé, une fois, un mot, un geste, qui soit antifrançais ? A-t-on trouvé, un jour, une expression, dans la bouche de Petiot, qui démontre qu’il n’avait pas la haine de l’Allemand ? Non seulement vous n’avez rien, mais vous avez encore ce défilé de gens qui sont venus à cette barre et qui vous l’ont dit. ». Maître Floriot rappelle les témoignages de Résistants ayant connu Petiot en prison : « On l’a connu. Dans le silence de la cellule, quand on tourne en rond pendant des heures, il n’est pas possible de tromper celui qui est à côté de vous. Nous sommes convaincus que Petiot était un homme qui avait la haine de l’Allemand ».

Maître Floriot de reprendre : « Je prendrai rapidement chaque affaire. Pour ceux dont les crimes sont contestés, je vous démontrerai que la preuve n’est pas faite, et pour ceux dont les crimes sont reconnus, je vous démontrerai que ces crimes sont justifiés ». Il examine ensuite chaque cas en mettant en avant les incohérences propres à chaque victime. Il affirme, pour celles dont les corps n’ont pas été retrouvés qu’elle sont évidemment passées en Amérique du sud ! La démonstration que le chapeau attribué à l’une des victimes n’est en réalité pas le sien fait sensation. Déjà pendant les interrogatoires, Floriot avait interrogé un psychiatre en lui demandant si les travers psychiques de Petiot étaient partagés avec sa sœur ? Le médecin de répondre que non, que sa sœur était saine d’esprit : « Mais il n’a pas de sœur ! » C’est alors emporté, content de son effet, l’avocat.

« J’ai fini !…

Je vous ai dit : prenez garde ! cent dossiers ont été établis comme cela, quatre-vingt-douze ont été abandonnés ; il n’en restait que huit. Je vous les ai pris un à un : vous voyez ce que cela vaut. Pouvez-vous concevoir que le même homme qui, souvent, la nuit, prenait sa bicyclette pour aller à Levallois faire la piqûre qui pouvait sauver un enfant et qui ne demandait rien en échange ; ce même homme, le lendemain, pour gagner quelques milliers de francs, aurait abattu un enfant ?… c’est de la démence !…

Et puis, vous avez entendu à cette barre Richard Lhéritier, vous avez entendu Courtois, qui sont venus dire : « Nous ne pouvons pas vous dire ce qu’a fait le docteur, nous n’y étions pas, mais nous pouvons vous dire ce que nous avons vu pendant soixante-dix-huit jours, l’un, pendant six mois, l’autre. Que cet homme ait tué pour l’argent, c’est impossible !… »

Ils vous ont dit cela avec l’autorité de gens qui ont souffert, avec l’autorité de gens qui ont sur la poitrine la preuve de leur bravoure, avec l’autorité de celui qui est resté deux ans dans un camp de déportation allemand, avec l’autorité de gens qui sachant tout ce qu’on a raconté sur Petiot, sont venus dire quand même : « Cela n’est pas possible !… Cet homme n’a pas pu faire cela pour les Allemands ».

On ne trompe pas un voisin de cellule. Pendant six mois, cet homme a été antiallemand ; il crachait sa haine pour les Allemands, il faisait des rêves fous de vengeance à la sortie ! Allons donc ! cet homme qui se dévoue pour les gosses, qui se dévoue sans contrepartie pécuniaire, cet homme qui, en prison, alors qu’il pourrait faire l’homme doux, l’homme gentil pour s’attirer la complaisance de ses geôliers, cet homme-là proclame sa haine pour les allemands, au risque des pires représailles.

Cet homme, auquel on a limé les dents sur 3mm pour lui faire avouer des secrets qu’il n’a jamais voulu lâcher, cet homme qui, à la fin, devant le Dr Yourkoum qui lui disait : « Je vous libérerais » répondait : « Cela m’est égal ». Vous voudriez que ce soit un assassin ?

Cet homme qui a craché sa haine aux Allemands, vous ne comprenez pas qu’il n’est pas normal qu’il ait fait ce que vous dites ? Ah ! Qu’il ne soit pas comme les autres, qu’il ait un tempérament qui ne soit pas comme le nôtre, c’est entendu. […] Mais ne dites pas que c’est un assassin ; ne dites pas que c’est un cupide… Toute sa vie vous démontre le contraire, et toute sa détention vous démontre le contraire.

Et permettez-moi de finir en vous rappelant ce mot, que j’ai trouvé infiniment courageux, de Richard Lhéritier, officier du Mérite de la Résistance, croix de guerre, déporté au camp d’Auschwitz, vous disant : « Quel que doit le verdict, je serai fier d’avoir été le compagnon du Dr Petiot !… »

Messieurs, je vous en ai trop dit, je m’excuse d’avoir été trop long, mais il fallait, je crois, faire ce travail. Je remets Petiot entre vos mains ; je suis certain que vous répondrez « non » à toutes les questions qui vous seront posées ! ».

Le président : « Petiot, qu’avez-vous à ajouter pour votre défense ? ». Petiot de répondre : « Je ne peux pas… rien !… Vous êtes français, vous savez que j’ai supprimé des membres de la Gestapo… Vous savez aussi ce que vous avez à faire !… ». Malgré cela, il sera condamné à mort.

 Petiot endormi pendant les délibérations

La dernière ordonnance du Docteur Petiot

Au matin de son exécution par guillotine le 25 mai 1946, son avocat le réveille en lui souhaitant du courage, il lui répond : « Tu me fais chier ». Ses derniers mots seront : « Je suis un voyageur qui emporte ses bagages » et pour son avocat : « Ça ne va pas être beau ».

Petiot nous a laissé un ouvrage, écrit avant son exécution Le hasard vaincu, un essai expliquant comment gagner à certains jeux de hasard. Certains ont vu dans ces suites mathématique la carte au trésor indiquant où sont les biens des victimes de Petiot. Le butin est estimé à plusieurs millions d’euros. 

Desproges dira de lui dans son sketch Des Juifs se sont glissés dans la salle : « Tous les médecins sont juifs. Enfin, presque tous. Le docteur Petiot, c’est pas sûr… Le Docteur Petiot, c’est ce médecin qui a démontré en 1944 que les juifs étaient solubles dans l’acide sulfurique ».

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